Vouloir tout et son contraire est une attitude très partagée, y compris chez les industriels. Demandez à un responsable d’entreprise ce qu’il attend de la transformation numérique. Sa réponse, à coup sûr, sera : « une profonde refonte des processus de l’entreprise afin d’améliorer notre efficacité, mieux nous adapter aux évolutions des marchés tout en accroissant notre différenciation compétitive ». Sauf que la plupart d’entre eux auront tendance à considérer leur transformation numérique comme un excellent moyen … de ne faire qu’optimiser leurs bonnes pratiques historiques.

 Ce type de contradictions se retrouve dans les appels d’offres lancés par les entreprises pour acquérir des logiciels censés faciliter cette transformation numérique. Les industriels veulent des solutions précablées, prêtes à l’emploi (« out of the box »), mais fortement différenciantes, et qu’ils inscrivent dans des cahiers de charges très précis, assortis de questionnaires « longs comme le bras » qui, par définition, ne sont pas standards.

 Les besoins exprimés dans ces appels d’offres sont par nature incomplets, et ne reflètent que partiellement la réalité. Tout simplement parce qu’ils n’incluent aucune dynamique d’intelligence collective, ni aucune démarche collaborative entre les différents départements de l’entreprise. La plupart du temps, un appel d’offres pour un logiciel se contente d’être un recueil de fonctions à remplir, et néglige une dimension primordiale de l’entreprise : ses processus.

 Ceci dit : comment pourrait-il en être autrement ? Difficile, en effet, d’imaginer décrire un processus collaboratif dans un document d’appel d’offres sans le prototyper ! De plus, les fonctionnalités décrites sont trop souvent une collection de recettes anciennes, et rarement celles qui permettront de porter la transformation numérique, dont l’objectif est d’agir différemment, et ceci dans un contexte de marché en constante évolution.

 Réinventer les cahiers des charges

 Pour avoir une idée des nouveaux défis qui se posent aux entreprises, un simple exemple : la cigarette électronique. C’est un produit de consommation courante, mais qui exige de ses concepteurs des compétences en électronique, en formulation chimique, et même en mécanique. Autrement dit, la frontière entre les métiers se déplace, voire s’efface, et il ne fait pas de doute que cette évolution a un impact majeur sur les processus d’ingénierie du cigarettier, et donc sur sa transformation numérique.

Existe-t-il des solutions logicielles toutes faites pour aider cet industriel à « numériser » une telle combinaison de disciplines ? Très probablement pas.

 A l’heure où l’agilité est devenue la règle, c’est en fait la manière dont les entreprises consultent les fournisseurs d’outils numériques qui a quelque chose de totalement désuet. S’engager dans des pré-études longues et souvent très couteuses afin d’établir des grilles de sélection de logiciels pour réaliser ensuite que ces exigences sont largement remises en cause lors de la mise en oeuvre, ne semble pas être le plus pertinent dans le contexte. Et ce d’autant plus que l’on aura ainsi retarder tout opportunité de progrès sur la période.

 Choisir une solution logicielle sur la base d’un cahier des charges qui prétend embrasser la totalité des besoins supposés au moment de son établissement, c’est prendre le risque de la désillusion. Beaucoup de temps aura été consacré à choisir la solution, puis à la mettre en oeuvre. Beaucoup d’argent aura été dépensé, avec pour résultat le plus évident de créer de la frustration chez les utilisateurs car les vrais besoins auront changé.

 

Faire parler les différents métiers de l’entreprise pour créer la continuité numérique

 Si l’entreprise veut vraiment se projeter dans l’avenir, c’est d’abord la manière dont elle choisit une technologie qui doit profondément évoluer. Ce choix doit reposer, non sur des fonctionnalités, mais sur des capacités : capacités de modélisation, d’automatisation de processus, de continuité numérique, de fédération de données et d’interopérabilité.

 Les spécialistes de l’ingénierie et de l’industrie 4.0 parlent couramment d’amélioration continue ; la transformation numérique doit faire de même avec une démarche agile. Vouloir tout prévoir est illusoire. Aujourd’hui, les entreprises doivent réapprendre à prendre des décisions rapides et accepter de se tromper. L’essentiel est de savoir réagir vite et de pouvoir apporter les corrections nécessaires au fil de l’eau. Seules les technologies qui permettent des constructions progressives sont de nature à pouvoir accompagner durablement les entreprises sur ce chemin.

 La transformation numérique est définie par certains comme la construction d’une plateforme assurant la continuité numérique de toutes les activités de l’entreprise. Mais le vrai défi est plutôt de conserver durablement cette continuité numérique au gré des évolutions de son offre et des contraintes des marchés. Mission quasi impossible, si l’on n’a pas choisi, dès le départ, des technologies qui autorisent des approches agiles, itératives et résilientes.